24 : sport
Quidam :
Vous restez très ferme sur l'immigration. Seriez-vous aussi ferme vis-à-vis de ces sportifs étrangers qui viennent rehausser le niveau de nos championnats ? Ou bien les considéreriez-vous éligibles à cette immigration intégrable que vous prônez ?
PG :
Le fond de votre question est en fait de savoir si l'argent ou la notoriété suffisent à garantir l'intégration.
Quand un prince saoudien bourré de pétrodollars vient construire un palais sur la Côte d'Azur, de surcroît sans nécessairement respecter la Loi Littoral et la réglementation en vigueur sur les permis de construire, est-ce qu'il bâtit sa demeure pour participer à la société française ou bien est-ce qu'il se crée une enclave saoudienne sur la Riviera ? La question est moins flagrante pour des stars occidentales s'implantant en France, parce que le décalage culturel autant que celui des moyens déployés est moindre. Pourtant, pour eux aussi se pose la question de savoir s'ils vont apprendre la langue pour participer à la vie locale plutôt que de simplement s'entourer de serviteurs assurant à leur place le contact entre leur tour d'ivoire et l'extérieur.
Alors, pour répondre à votre question, ni l'argent ni la gloire ne suffisent pour s'intégrer. Ca facilite souvent les choses, mais ça ne garantit rien. Vos grands sportifs étrangers sont donc à soumettre au même critère d'intégrabilité que n'importe qui. Et être un roi de la course de fond ne suffit certainement pas à justifier une naturalisation de complaisance, juste pour qu'une nation améliore son compteur dans la ridicule course aux médailles qui fait tant jaser les journalistes à chaque grande compétition. Par contre, évidemment, compte tenu de la notoriété associée au sport de haut niveau, les données vont s'apprécier légèrement différemment que pour un travailleur commun. Il est clair qu'ils n'auront pas de problème d'argent pour s'assumer matériellement dans notre pays, mais la question de savoir s'ils apportent quelque chose de positif demeure. Et en matière de sport de haut niveau, ce qu'il y a de positif à apporter, ce n'est pas la simple performance, mais avant tout l'exemplarité. L'exposition médiatique dont ils bénéficient les pose en effet malheureusement en modèles pour beaucoup de gens.
Quidam :
Pourquoi malheureusement ?
PG :
Parce que la notoriété et la qualité humaine sont deux choses différentes. Or on constate que trop de gens les confondent. Certains se mettent en transe à l'arrivée d'une star du showbiz comme si Dieu lui-même était apparu. Une telle adulation est profondément négative parce qu'elle procède d'une négation de soi. Une personne n'est pas meilleure que vous simplement parce qu'elle chante bien, a une belle apparence ou est célèbre. Et s'identifier à elle est le meilleur moyen de passer à côté de votre propre vie.
La course aux autographes est également symptomatique d'une telle immaturité. « Oui, je l'ai vu de mes yeux vu, regarde, il a signé ce morceau de papier-toilette pour moi ! » Mais que c'est vain. Que de petitesse intérieure. Vous avez vu un beau spectacle ? Réjouissez-vous. Approcher la star pour avoir un gribouillis sur un bout de papier n'apporte strictement rien de plus. Le Bouddha disait d'ailleurs : « n'admire rien ni personne, respecte tout et chacun ». Voilà un précepte de grande sagesse dont bien des gens gagneraient à s'imprégner davantage. Ce n'est pas parce qu'on est célèbre que la moindre de nos paroles est nécessairement empreinte d'intelligence, de sagesse ou de profondeur. C'est pourquoi le Bouddha disait aussi : « ne crois rien sur la parole de quelque sage, ni sur la foi de quelque écrit ancien, mais ce que tu auras expérimenté par toi-même, cela tu pourras le tenir pour vrai ».
Quand la parole d'une star pèse plus que celle d'un dirigeant élu, comment s'étonner que ces derniers cherchent à développer leur côté people pour tenter de gagner en poids médiatique, et par là même en importance politique ? Au lieu de cultiver la profondeur et la sagesse nécessaire à la bonne gouvernance d'une société ! Rien que pour avoir fait partie de l'équipe championne du monde en 1998, certains footballeurs auraient eu de meilleures chances d'être élus président en cas d'élection que des politiciens notoires. Bonjour le programme ! Voilà un vrai signe d'immaturité collective d'une société.
C'est là aussi qu'on voit le poids phénoménal des média. Et comme le sport de haut niveau a échappé au domaine sportif pour devenir un spectacle médiatique majeur, il est d'autant plus important que ces dieux du stade se présentent en exemples plutôt qu'en contre-exemples.
Quidam :
N'exagérez-vous pas un peu ? Qu'ils fassent rêver, certes, mais les gens ne sont pas aussi influençables que ça.
PG :
Je rends hommage à votre foi en la sagesse humaine, mais je ne la partage pas du tout. La réalité est bien différente. Et les gens sont bien plus influençables que ce que vous voulez croire ou même que ce qu'ils s'imaginent eux-mêmes.
Diverses études psychologiques ont démontré la propension de la violence omniprésente à la télévision à favoriser le passage à l'acte des esprits faibles. Parce que la raison oppose un filtre à ces histoires que nous savons être des fictions, le conscient n'est quasiment pas marqué. Mais le subconscient l'est, et, dans le cas de ces esprits faibles, érode lentement les inhibitions pour un jour déborder, engendrant agressions, viols, meurtres. Ca fait longtemps que l'industrie du tabac a compris que sponsoriser le cinéma pour imposer l'image du héros avec une cigarette au bec est bien plus efficace pour booster ses ventes que n'importe quelle campagne de pub.
Mais dans le cas du sport, le filtre de la raison est nettement moindre parce que c'est du réel, pas de la fiction. Alors le subconscient est plus fortement marqué, tandis que le conscient l'est un peu aussi. Ces gestes que nous voyons effectués par les stars des stades, nous avons ensuite une propension naturelle à vouloir les reproduire. D'où l'importance que ces sportifs montrent l'exemple plutôt que l'inverse. Et je ne parle évidemment pas ici des frasques éventuelles de leur vie privée qui ne regarde qu'eux bien qu'une certaine presse en fasse ses choux gras. Je parle bien de leurs actes sur le vif, sous les feux des caméras.
Quidam :
Vous pensez à la violence, bien sûr.
PG :
La violence, oui, mais ce n'est que la partie émergée de l'iceberg, l'arbre dont on parle beaucoup et qui cache la forêt. Par exemple quand vous voyez des sportifs passer leur temps à cracher à tout va. Croyez-vous que ce soit positif ? Parce que cracher sur une pelouse, du moins quand elle n'est pas synthétique, ça s'absorbe encore assez bien dans la terre. Mais on les voit aussi cracher dans les couloirs des vestiaires, sur les pistes synthétiques de course à pied, voire sur les abords de piscine où c'est beaucoup moins discret que lorsqu'ils sont dans l'eau. Croyez-vous que ce soit un bon exemple à donner ?
Pire : les cyclistes.
Quidam :
Le dopage ?
PG :
Non, ce n'est pas si spécifique au cyclisme qu'on veut bien le dire. Le dopage, il y en a dans tous les sports de haut niveau à des degrés divers. On en parle beaucoup en cyclisme surtout parce qu'on se donne davantage la peine de chercher. Que certains coureurs se dopent et jouent avec leur santé est leur problème. Et s'il faut lutter contre, ce n'est pas pour les protéger eux, mais uniquement pour éviter l'injustice sportive vis-à- vis des cyclistes propres. C'est une simple question d'équité.
Non, du point de vue contre-exemple immédiat à l'image, celui qui influence les téléspectateurs en crevant l'écran tout au long des étapes, notamment lors d'événements à résonance mondiale comme le Tour de France, c'est leur habitude de tout balancer partout, n'importe où, bidons et emballages de casse-croûte.
Quidam :
Mais c'est ramassé après.
PG :
Mon œil ! Vous croyez vraiment que les équipes de ramassage vont descendre dans les ravins et précipices chercher les bidons qui y ont été envoyés ? Vous croyez vraiment qu'ils vont parcourir les champs sur une largeur suffisante pour rattraper tous les morceaux d'aluminium et de plastique que le vent emporte ? Il faudrait vraiment que je le voie pour le croire. Et comme ce ramassage, certainement très imparfait, n'est jamais médiatisé, il reste l'image que ces modèles sportifs considèrent la route comme une déchetterie, propageant ce non-respect dans l'esprit des fans qui ont alors une tendance bien plus forte à jeter leur détritus par la fenêtre de leur voiture qu'à faire l'effort de les garder en attendant de croiser une poubelle.
Il serait si simple pour les organisateurs de délimiter régulièrement des zones le long des étapes, où les coureurs peuvent s'alléger des bidons vides, emballages et autres musettes, avec une bien plus grande facilité et exhaustivité de ramassage par la suite. Voilà qui démontrerait un souci de respecter la route, ses abords et la nature. Voilà qui serait un exemple plus positif pour la société.
On ne peut pas mettre en place un programme d'incitation au respect de notre cadre de vie et rester insensible au fait que des modèles ultra-médiatisés rament à contre-courant. Et s'il n'est pas possible d'intervenir à l'étranger, du moins les retransmissions télé peuvent-elles facilement inclure un petit rappel à l'ordre fustigeant ces comportements, comme un petit coup de buzz pendant qu'un carton rouge clignote en insertion à l'image. Ca aurait même un petit côté ludique qui ferait mieux encore passer le message qu'une sévérité trop sérieuse et forcément rébarbative. Les enfants se feraient une joie de mettre des cartons rouges à leurs parents et copains lorsque s'en présenterait l'occasion.
Quidam :
Bon, je vous le concède, ce ne sont pas des exemples à suivre sur ces points particuliers. Mais l'exemple premier demeure quand même d'encourager à la pratique du sport. Et il a clairement des vertus très positives pour une société.
PG :
Le sport est effectivement quelque chose à valoriser socialement. C'est pourquoi il doit être beaucoup plus présent durant la scolarité ainsi que nous venons d'en discuter. Et pas que pour la bonne santé physique.
Il favorise une quête du dépassement de nos limites. Transposé à soi, cela favorise un état d'esprit favorable à la recherche de l'amélioration de son être. Ce n'est clairement pas de la volonté égotique de battre les autres, d'être le meilleur, dont je parle ici, mais bien du désir de progresser par rapport à soi-même, valeur essentielle pour l'accomplissement humain. C'est « l'important est de participer » du Baron Pierre de Coubertin. Et ça fait écho à la devise des louvettes et louveteaux du scoutisme : « fais de ton mieux ». Voilà pourquoi le sport en général est un élément à part entière d'un système éducatif. Du moins du moment qu'il n'est pas perverti par cet esprit de compétition que l'on rencontre trop souvent dans le sport de haut niveau : cette quête de titres et de médailles, quelle qu'en soit la manière. Car dans le véritable esprit du sport, la manière compte bien plus que le résultat. Etre désigné champion du monde de judo sans avoir marqué le moindre avantage simplement parce qu'on a un avertissement pour non-combativité de moins que son adversaire à la fin du temps réglementaire n'est pas franchement glorieux. Et c'est comme ça qu'il faut parfois qu'un arbitre de foot rappelle à des joueurs de mauvaise foi que « une finale, ça se gagne avec des buts, pas avec des cartons ». Dans le véritable esprit du sport, qu'importe de perdre, du moment qu'on a la satisfaction de bien jouer.
Par rapport aux sports individuels, les sports collectifs ont en plus le fait de favoriser le développement de la conscience d'autrui et de l'esprit d'équipe. Ils proposent donc un processus de socialisation des plus utiles pour préparer des jeunes à la vie en société. C'est pourquoi on entend régulièrement de grands discours sur l'importance du sport pour socialiser et intégrer, notamment à destination des jeunes des cités, effectivement souvent trop oubliés, même quand ils ne s'excluent pas d'eux-mêmes. Mais pour que cela soit vrai, encore faut-il que les valeurs portées par ce sport soient positives. Et de ce point de vue, le football est assez critiquable.
Quidam :
Ce n'est pas la première fois que vous pointez du doigt ce sport. Que lui reprochez-vous ?
PG :
Faisons un petit comparatif entre le rugby et le foot, et vous allez tout de suite comprendre. Bien entendu, je parle de football européen, et non de football américain ou australien, sports qui s'appellent également « ballon pied » mais se jouent à la main. A chacun ses incohérences, et notre foot, qui se joue bien avec les pieds et qui prétend promouvoir les valeurs traditionnelles des sports collectifs, n'en manque pas.
Au foot, quand l'arbitre siffle un coup-franc, le joueur concerné le conspue avec de grands signes désobligeants de la main, on lit souvent les jurons sur ses lèvres, ses partenaires se précipitent sur l'homme au sifflet pour contester pendant un certain temps tout en sachant que ça ne changera rien, d'autres se mettent devant le ballon pour empêcher que l'adversaire ne joue rapidement, le mur se met à six mètres au lieu de neuf et ne recule à la distance règlementaire que bien lentement, en traînant des pieds, et sous la pression appuyée de l'arbitre, pour mieux se réavancer dès que celui-ci autorise à jouer, etc.. Mais il se prétend qu'il faut favoriser le jeu et que le foot est une école de respect.
Au rugby, quand l'arbitre siffle une pénalité, ni le joueur concerné ni ses équipiers ne manifestent quoi que ce soit, et ils se mettent automatiquement à dix mètres pour que les joueurs adverses puissent jouer le ballon rapidement s'ils le souhaitent. Si un joueur proteste, sans même que ce ne soit en rien comparable au cinéma d'un footballeur, la pénalité est avancée de dix mètres. Et quand un joueur de l'équipe pénalisée empêche le jeu rapide en intervenant sans avoir respecté cette distance de dix mètres du lieu de la faute, il reçoit directement un carton jaune pour antijeu. Alors oui, on constate le respect de l'arbitre et de ses décisions, tout comme le respect du jeu qui reprend du coup bien plus rapidement.
La différence d'attitude entre les joueurs de foot et de rugby est criante. Les arbitres de rugby se donnent les moyens d'être respectés et n'admettent aucune contestation. Un carton jaune, c'est dix minutes d'expulsion et donc un réel handicap pour l'équipe. Les joueurs le savent, et donc ne s'autorisent guère d'écart, affichant un comportement proche de l'exemplaire. Et ce d'autant plus que, même si un mauvais geste a échappé aux arbitres sur le moment, les citations pour brutalités sur base de vidéo après match en ont écarté plus d'un des terrains pendant un temps non négligeable. Au foot, au contraire, l'arbitre se laisse piétiner par les simagrées et la pression permanente des joueurs. Un carton jaune, c'est un avertissement sans conséquence qui ne pénalise donc aucunement l'équipe, et institue même un droit pour chaque joueur de faire au moins une vilaine faute par match. Ceux-ci le savent et en abusent très largement, affichant un comportement à l'inverse des valeurs que prétend promouvoir ce sport.
Alors, du foot ou du rugby, lequel véhicule le respect de la règle et de l'autorité ? Lequel incite à développer la maîtrise de soi ? Lequel, tout en étant un sport de contact, donc autrement plus violent, n'est pas entaché par le hooliganisme sans même besoin de services de sécurité surdimensionnés ?
Quidam :
Compte tenu de ce que vous avez dit sur la nécessité d'une grande fermeté dans le maintien de l'ordre public, je ne peux pas vraiment m'étonner de vos critiques sur l'arbitrage au foot.
PG :
Vous avez entièrement raison de faire le lien. Le laxisme des arbitres du foot encourage les joueurs à se laisser aller à ces comportements minables, tout comme la mollesse des gouvernements favorise les débordements lors de manifestations. Vu l'audimat et l'auditoire des grands matchs de ballon rond, beaucoup de jeunes transfèrent ensuite les dérives de leurs modèles vers l'anonymat de leurs stades de quartiers, au grand dam des éducateurs qui ont toutes les peines du monde à les rectifier. Puis rapidement, on s'aperçoit qu'ils se mettent à agir de la sorte aussi dans la vie courante. Et voilà comment le laxisme favorise la prise d'un mauvais pli qui nécessite ensuite d'être redressé par une fermeté accrue. N'importe quelle personne qui repasse ses vêtements sait qu'un faux pli demande un surplus de vapeur pour être effacé. Les travaux ménagers aussi, comme bien d'autres corvées du quotidien, sont de grands enseignants de sagesse. Nos politiciens gagneraient sûrement à les pratiquer davantage. Ne serait-ce que pour se sentir plus proches de la France dite « d'en bas ».
Quidam :
Alors vous pensez qu'un corps arbitral plus sévère au foot contribuerait à améliorer la société ?
PG :
Ce serait déjà commencer à ramer dans le bon sens. Si l'arbitre, avec ses imperfections de jugement, doit faire partie du jeu, ainsi que cela se dit, alors qu'il se donne au moins les moyens d'être respecté comme tel. Mais fustiger le seul corps arbitral est bien trop facile. Car c'est l'ensemble du monde du foot qui est à blâmer. Parce que c'est lui qui se refuse à donner aux arbitres les moyens d'être efficaces. Il n'y a pas qu'une question d'attitude. Il y a aussi celle de pouvoir bien arbitrer. L'arbitrage vidéo par exemple. Il fonctionne très bien au rugby. Pourquoi en serait-il autrement au foot où, en plus, les traditions d'excès de protestations en tout genre font perdre bien plus de temps que de clarifier la question en repassant un ralenti ? Pourquoi refuser à l'arbitre le simple droit de lever le nez pour trancher ses doutes alors que les dizaines de milliers de spectateurs bénéficient de tous les ralentis souhaitables directement sur le grand écran du stade ? A croire qu'il y a une vraie volonté de faire se déchaîner les excités en tout genre qui n'en demandent pourtant pas autant.
Alors bien sûr, je ne dis pas qu'il faille l'utiliser à tout bout de champ. Il ne faut pas passer d'un extrême à l'autre. Au rugby, par exemple, l'arbitre ne peut y faire appel que pour vérifier la validité ou pas d'un essai. Mais on peut aussi s'inspirer du tennis et accorder aux capitaines de chaque équipe un droit à deux challenges erronés d'une décision de l'arbitre. Il n'y a que l'embarras du choix entre les solutions.
Quidam :
En fait, ce qui se dit est plutôt que les instances du football se refusent à créer un football des grands événements et un football des petits clubs. Ce souci de cohérence est somme toute louable, non ?
PG :
Foutaise et billevesée ! Quelle cohérence y a-t-il entre un match amateur de quartier regardé essentiellement par les familles des joueurs et un où se jouent des dizaines de millions d'Euros devant autant de spectateurs et téléspectateurs ? Cette position ne résulte qu'en un nivellement par le bas là où plus de rigueur à haut niveau tirerait l'ensemble des pratiquants de ce sport vers le haut. C'est très clairement un mauvais raisonnement que le leur.
Quidam :
Cela fait longtemps que les instances du foot buttent sur la question de l'arbitrage vidéo. Il semble qu'ils commencent seulement à envisager de le mettre partiellement en place suite au Mondial 2010 et à ces erreurs d'arbitrage lourdes de conséquences, notamment pour l'équipe d'Angleterre. Et comme il y a beaucoup d'anglais dans les instances internationales du football, il semble que cette fois ça les fasse réagir. Ils avaient pourtant déjà subi la main de Dieu de Maradona.
PG :
Je n'ai pas encore constaté une évolution sur ce sujet. Ca reste à l'état de réflexion. Par contre, on a récemment vu apparaître, pour certaines compétitions, deux arbitres supplémentaires dédiés aux surfaces de réparation en plus des quatre arbitres traditionnels. Ca fera plus d'yeux pour limiter les simulations en vue d'obtenir un penalty, ainsi que les accrochages aussi discrets que pénalisables. Mais si le corps arbitral reste toujours aussi réticent à sanctionner par ailleurs, ça ne changera pas grand-chose.
Par contre, c'est bien que vous mentionniez l'affaire dite de la main de Dieu, ce but inscrit de la main qui a éliminé l'Angleterre au profit de l'Argentine lors du Mondial de 1982. Quand Maradona devient un héros national pour avoir triché et menti devant les caméras du monde entier, c'est qu'il y a un vrai problème de valeur.
Quidam :
Peut-être. Mais comme spectacle, c'était très réussi quand même.
PG :
Il est clair que ça a donné de l'intensité dramatique à ce match. Mais est-ce ce que nous voulons pour divertir nos mornes existences : du drame ? Sommes-nous donc à ce point incapables de nous réjouir du bonheur ? Il est pourtant bien vrai que personne ne joue à être heureux. Pour qu'un jeu intéresse, il faut de la compétition, il faut dominer, il faut vaincre. Simplement être, ça n'intéresse pas grand monde.
Et puis pour parler spectacle, celui offert par le foot d'une manière générale est quand même globalement médiocre. Pour une bonne action de temps en temps, combien de dizaines de minutes d'échanges de ballons soporifiques ? Pour un bon match de temps en temps, combien d'ennuyeux ? Combien de matchs se décident sur un coup du sort plutôt que sur la valeur intrinsèque des équipes ? Ah, c'est sûr qu'avec autant de règles allant à l'encontre de l'esprit du jeu, faire parler ses qualités techniques est une gageure. Ca entretient peut-être le suspense, mais ce n'est pas passionnant pour autant.
Quidam :
De quelles règles parlez-vous ?
PG :
De toutes celles qui étouffent le jeu, le ralentissent, voire favorisent l'antijeu.
Par exemple, parce que l'intérêt du foot réside dans l'offensive et la maîtrise technique, on évoque les mythiques magiciens brésiliens, même si la mondialisation les a rattrapés et nivelés si bien qu'ils ne sont plus vraiment à la hauteur de leur réputation. Mais comment exprimer sa technique lorsque les tirages de maillot ne sont pas sanctionnés ou si mollement ? C'est intentionnel, ce devrait être systématiquement un carton jaune. Et pour que cette sanction ait une valeur, il faut qu'elle soit pénalisante immédiatement pour l'équipe comme l'est le carton jaune de rugby avec exclusion temporaire de dix minutes, principe que l'on retrouve aussi au hockey sur glace avec des mises en prison de deux minutes. Idem pour ces séances grotesques de lutte gréco-romaine dans les surfaces de réparation, à chaque corner et coup-franc, et où les arbitres n'ont plus à venir faire les gros yeux sous prétexte de pédagogie. Ils ont affaire à des tricheurs professionnels, pas à des amateurs en cours d'apprentissage. La sanction doit tomber sans sommation. Et le jeu se trouvera rapidement débarrassé de ces parasitages.
Un autre exemple : les instances du football prétendent qu'elles veulent favoriser le jeu. Alors pourquoi la règle favorise-t-elle le défenseur qui se met en opposition pour laisser filer le ballon en sortie de but en empêchant l'adversaire de le jouer ? L'un veut jouer, l'autre l'en empêche. Pour moi, ce n'est pas une sortie de but mais une obstruction. De même, quel intérêt y a-t-il à arrêter le jeu pour faire un changement de joueur ? Que l'arbitre central fasse un signe pour dire qu'il en a pris note et autorise l'entrée du remplaçant d'accord, mais ça peut se faire en jouant. Et alors, surtout en fin de match, lorsqu'une équipe pousse pour égaliser et qu'enfin il se passe quelque chose, nous serions libérés de cet antijeu consistant à casser le rythme et faire perdre du temps grâce à des changements.
Et par-dessus tout, si nous interdisions ces tacles assassins qui arrachent tout sur leur passage, ballon et bonhomme, et sont d'autant plus prisés que le carton jaune, en plus de ne pas être systématique, ne constitue même pas une pénalisation de l'équipe ? Au lieu de voir les défenseurs abattre les attaquants, nous verrions se développer des actions offensives autrement plus intéressantes. Parce que les jongleurs et les dribbleurs, pourraient plus librement exprimer leur technique sans être envoyés brouter le gazon dès qu'ils s'élancent. Je veux bien qu'une belle glissade sur le gazon permette élégamment de récupérer un ballon qui allait sortir en touche. Mais un tacle à moins d'un mètre d'un joueur adverse devrait être systématiquement sanctionné au minimum d'un carton jaune pénalisant, donc avec exclusion temporaire. Ne serait-ce que parce que les tacles sont la cause numéro un de blessures autre que les problèmes musculaires ou de tendons. Et le jeu dangereux est supposé être interdit et sanctionné que je sache.
Quidam :
Je doute que les instances du foot, qui se font surtout remarquer par leur immobilisme dinosaurien, ne se bousculent pour tester ces modifications de règles.
PG :
J'en doute fort aussi. Il y a d'ailleurs certaines analogies entre le football et l'église catholique que je ne peux manquer de relever. On voit bien que ni l'un ni l'autre ne sont plus en phase avec les aspirations de leurs fidèles mais leurs instances dirigeantes n'y changent à peu près rien pour autant. C'est l'école de l'immobilisme. Et si on y trouve engagés à la base plein de gens de bonne volonté et aux aspirations nobles, force est de constater que ces institutions font tout ce qu'il faut pour les brider et les faire rentrer dans le moule. Du point de vue de la vie d'une société, c'est tout le contraire d'une contribution positive.
Là encore, le rugby montre l'exemple : l'IRB fait évoluer les règles quasiment tous les ans, pour fluidifier le jeu et l'améliorer chaque fois qu'une disposition contreproductive est identifiée. Mais faut-il attendre après le reste du monde pour faire évoluer les choses ? Avons-nous besoin de leur autorisation pour essayer d'autres façons de faire ? La Fédération Française de Football pourrait facilement décréter que la compétition nationale moins cotée qu'est la Coupe de la Ligue se jouera selon ces règles modifiées pendant trois ans, à titre de test. Et on verra bien si les matchs sont plus intéressants ou si le spectacle reste aussi médiocre que d'ordinaire.
Quidam :
C'est une idée. Mais nous voici un peu loin de nos préoccupations sociopolitiques.
PG :
Comment pouvez-vous dire ça alors que je viens de vous pointer du doigt l'importance sociale de ces exemples ultra médiatisés ? La question de la qualité du spectacle est secondaire, je vous l'accorde. Si on n'aime pas, il y a qu'à ne pas regarder. Un match de baseball, par exemple, est soporifique au possible malgré les pom-pom girls. Idéal pour faire la sieste. Je n'aime pas, je ne regarde pas. Tout simplement. Seulement le baseball n'incite pas les spectateurs à des dérives comportementales et sociales. Tout au plus, ça les incite à manger et boire des sodas pour tromper leur ennui, favorisant donc l'embonpoint.
Mais au foot, c'est bien différent. Car au-delà des matchs et de la médiocrité du spectacle, par ces règles en parfaite contradiction avec les objectifs affichés, c'est tout le côté pédagogique et intégrateur de ce sport qui est jeté à bas. Comment pensez-vous que va réagir un individu lorsque vous lui enseignez jaune mais qu'il est désavantagé s'il ne joue pas gris ? La règle contredit l'esprit du jeu et en perd sa légitimité, la forme s'oppose au fond, et au lieu de structurer les individus, c'est au contraire une déstructuration qui est propagée. Il devient normal de contourner la règle, de s'en arranger. Il devient alors acceptable d'utiliser toutes les astuces possibles pour tirer la couverture à soi, donc ne pas hésiter à tricher et faire de l'antijeu. Et la même attitude passe ensuite du terrain de sport au terrain social sous la forme qu'il ne faut pas hésiter à s'arranger avec la loi, la détourner, et écraser son voisin si on en a l'occasion et que ça nous apporte un avantage. C'est pour toutes ces raisons que je considère le rugby comme un sport qui porte des valeurs positives pour la société alors que le football en est l'anti-école. Une galerie des contre-exemples. Il enseigne aux jeunes que tricher, mentir, simuler, est parfaitement acceptable et que ça peut même vous rendre bien plus riche et célèbre que de faire l'effort de vous instruire ou d'apprendre un métier. Quel est le rêve d'un jeune de banlieue ? Devenir star du rap ou footballeur, pour avoir l'argent facile et se payer de grosses bagnoles remplies de meufs lascives en bikinis. Belles valeurs d'intégration sociale, en vérité.
Quidam :
Je comprends vos arguments, mais il faut bien reconnaître que, malgré tous ces travers que vous pointez du doigt, le foot donne lieu à de grands événements où toute la planète se retrouve pour fêter ensemble. Le rugby ne propose pas ça. Le foot a donc aussi ses bons côtés.
PG :
C'est bien pour ça que le mauvais exemple du foot est d'autant plus néfaste : parce qu'il est le sport le plus universel que nous ayons sur la planète. N'importe quelle bande de gamins peut jouer au foot avec n'importe quoi d'à peu près rond, à peu près n'importe où. Pour le basket, il faut déjà au moins un panier et un ballon qui rebondisse. Pour le rugby, il faut en plus impérativement un bon terrain parce que les placages sur terrain vague pierreux ou sur goudron mieux vaut oublier. Alors le foot est le sport de loin le plus populaire au monde. Et c'est pourquoi il est aussi désolant de voir que son effet rassembleur n'est pas mis à profit pour véhiculer de vraies valeurs humaines et sociales.
Alors faut-il en vouloir aux footballeurs ? Certes, chacun est toujours responsable de son comportement, et personne n'est obligé d'agir en enfant gâté ainsi que le montre la disparité des comportements entre les joueurs. Mais les stars du ballon rond ne sont pas responsables du laxisme du corps arbitral qui les a autorisés à se comporter comme des gougnafiers. Ils ne sont pas responsables du fait d'être payés des sommes indécentes pour simplement courir après un ballon alors qu'ils étaient prêts à le faire au départ pour un salaire de travailleur normal, voire gratuitement pour le plaisir si la professionnalisation du sport ne s'était pas généralisée. Ils ne sont pas responsables non plus du fait que les média fassent d'eux des dieux et se disputent le moindre de leur commentaire stéréotypé, tiré du manuel des répliques toutes faites, déjà entendu des milliers de fois, et qui n'apporte rien à rien. Pourquoi un tel empressement des journalistes ? Parce que les supporters le demandent et qu'ils sont une clientèle importante, tant pour l'audimat de la télé ou de la radio que pour acheter des journaux. Certains dépensent même plusieurs mois de salaires pour aller à l'autre bout du monde voir un match qui est pourtant diffusé sur leur téléviseur à domicile. Alors les responsables de ce délire, ce ne sont pas eux, ni les journalistes, mais nous tous.
Bien sûr, on peut rajouter des responsabilités spécifiques aux instances du foot : la FIFA, l'UEFA et ses homologues des autres continents, ainsi que les fédérations nationales des divers pays. Ils favorisent clairement le prosélytisme. Par exemple au niveau de la répartition des droits télévisuels entre le monde professionnel et amateur. A voir les montagnes de fric du monde professionnel et le manque de moyens du monde amateur, il n'est pas difficile d'en déduire que ce pourrait être utilement révisé.
Un autre exemple ? Au lieu d'attribuer l'organisation des grands événements comme le Mondial à des pays qui auraient bien besoin de ce coup de pouce pour se doter d'infrastructures sportives de meilleur niveau, il est confié à celui qui saura y mettre le plus d'argent, pour proposer le spectacle le plus rentable. Bravo. Belle démonstration de valeurs humaines.
Au passage, n'omettons pas de constater que les instances olympiques internationales ne font guère mieux, qui ont laissé l'esprit insufflé par Pierre de Coubertin disparaître au profit du règne du fric. J'aime l'esprit des Jeux Olympiques, mais je suis triste de voir ce qu'ils sont devenus.
Quidam :
Me trompé-je ou bien vous laissez-vous aller à une crise de passéisme ? Vous qui dites que l'impermanence est dans l'ordre des choses et qu'il faut cesser de s'accrocher à ce qui n'est plus…
PG :
Vous n'avez pas entièrement tort. Mais pour autant, le présent ne représente pas nécessairement, systématiquement, une amélioration. Le passé nous apporte une expérience, un point de comparaison, dont il faut tirer les leçons pour précisément mieux situer le présent et savoir quelle direction donner à l'avenir. Ne pas être passéiste ne veut pas dire renier et oublier.
Or l'impact social que je constate me pousse à m'inscrire contre cette tendance, toujours plus affirmée au fil des ans, du sport business. Tout n'était pas mieux avant, mais les valeurs du sport d'antan étaient plus dignes que celles de maintenant. Alors si nous voulons que le sport et l'exemple donné par les sportifs de haut niveau servent l'intégration sociale et la maturation humaine, nous ne pouvons laisser un phénomène aussi important d'un point de vue populaire que le football ramer à contre courant. Cela peut faire sourire, mais parce que c'est bien plus un phénomène de société qu'un simple sport ou même un spectacle, il ne faut pas en négliger l'impact. Non pour s'en servir pour conforter une éventuelle cote électorale, mais pour qu'il contribue à construire la société au lieu de la détruire. Pour qu'il porte la jeunesse dans le bon sens plutôt que de l'en détourner.